Vers un allègement des obligations de reporting de durabilité avec l’omnibus européen : la position de la commission JURI
Le lundi 13 octobre 2025, la commission des affaires juridiques du Parlement européen a adopté sa position sur une série de modifications visant à alléger les exigences de reporting de durabilité (CSRD) et de diligence raisonnable pour les entreprises (CS3D). Cette étape marque un tournant dans la régulation des pratiques responsables au sein de l’Union européenne.
Des seuils relevés pour le reporting obligatoire
Si l’objectif affiché avec l’omnibus européen est de réduire la charge administrative des entreprises, le vote de la commission Juri va au-delà. Il cible en effet la dérégulation pour une majorité d’entreprises. Le texte, propose de relever les seuils d’applicabilité :
- CSRD : 1 000 salariés et 450 millions d’euros de chiffre d’affaires (contre 250 salariés et 50 millions d’euros actuellement).
- CS3D : 5 000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Ces modifications excluraient 90 % des entreprises initialement concernées par la CSRD et 70 % de celles soumises au devoir de vigilance. Par ailleurs, le projet prévoit la suppression de deux piliers essentiels :
- l’obligation pour les grandes entreprises de mettre en œuvre un plan de transition climatique,
- le régime de responsabilité civile européenne, qui permettait aux victimes d’abus sociaux ou environnementaux de demander réparation.
Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’un « virage assumé vers la dérégulation », confirmé par l’annonce début octobre du report des normes du Green deal pour les entreprises étrangères par la commission européenne, sous la pression des Etats Unis et de la Chine.
La loi omnibus révèle des clivages politiques profonds
Les débats ont révélé une fracture nette au Parlement. D’un côté, la gauche, les Verts, les socio-démocrates et une partie de Renew défendent le maintien des ambitions initiales du Green Deal. De l’autre, la droite et l’extrême-droite, majoritaires en commission, plaident pour un allègement massif des obligations.
Les critiques de la société civile et du monde académique
Face au tournant de la loi omnibus, les réactions sont multiples. Associations, ONG et chercheurs dénoncent une dérégulation déconnectée des preuves scientifiques. Plusieurs études montrent en effet que le reporting de durabilité et le devoir de vigilance renforcent la compétitivité à long terme, la transparence et la résilience des entreprises. La suppression des plans de transition climatique, en particulier, risque de fragiliser la trajectoire européenne vers la neutralité carbone.
La Banque centrale européenne elle-même a rappelé que l’affaiblissement des normes limiterait la capacité de l’UE à évaluer les risques financiers liés au climat, menaçant la stabilité économique. De leur côté, plus de 260 chercheurs européens ont signé la « Déclaration de Copenhague », appelant à maintenir un seuil d’application à 500 salariés pour préserver la cohérence juridique et l’alignement avec les standards internationaux.
Prochaine étape pour l’omnibus européen : débat parlementaire
Le Parlement européen examinera prochainement ces propositions en séance plénière. Si elles sont adoptées, elles pourraient redéfinir le cadre réglementaire du reporting de durabilité et de la diligence raisonnable, en ciblant les entreprises les plus exposées tout en allégeant les contraintes pour les autres.
Et les entreprises dans tout cela ?
Les débats politiques ont encore de beaux jours devant eux et nul ne peut dire aujourd’hui quels seuils seront retenus pour la CSRD, même si ceux des 1000 salariés et des 450 K€ de chiffre d’affaires semblent tenir la corde après les positions des différentes commissions.
Néanmoins, la CSRD a eu la vertu de lancer une vaste prise de conscience des enjeux de durabilité dans les entreprises, relayée par les grands acteurs auprès de leur chaine de valeur et par les institutions financières auprès des structures qu’elles financent.
Une dérégulation de la CSRD ralentira la dynamique RSE mais elle ne l’arrêtera pas. Malgré le décalage des obligations réglementaires, nombre d’entreprises ont déjà fait le choix de s’engager dans une démarche volontaire en s’appuyant sur les référentiels ESRS, VSME et même Ecovadis, dont le succès témoigne d’une réelle implication dans la RSE et le reporting ESG.